Toussaint Louverture le penseur de la republique d'Haïti
boukman
Toussaint, d'après la tradition, serait né à Saint-Domingue, sur la plantation Bréda, au Haut-du-Cap, en 1743 ( Prosper Gragnon-Lacoste, pour sa part, fixe la naissance de Toussaint au 20 mai 1746 ). Mais on sait fort peu de choses sur sa vie avant l'insurrection des esclaves qui dévasta le nord, au mois d'août 1791. La première partie de son existence appartient à la mythologie. On rapporte qu'il serait originaire du Dahomey ( actuel Bénin ) : son père, de nation Arada, aurait figuré parmi les chefs qui, à l'époque, se partageaient le territoire . Toussaint n'était donc pas un Africain, un bossale, mais un créole.
Surnommé « Fatras-Bâton » , c'était un homme de petite taille , malingre, exerçant malgré sa laideur de l'ascendant sur ses congénères.Homme intelligent, réfléchi, il dissimulait ses pensées et parlait peu. Il aimait les chevaux et était excellent cavalier. Sur la plantation Bréda, Toussaint aurait servi son maître, Baillon de Libertat , dans des conditions particulièrement privilégiées : il travaillait semble-t-il comme domestique, et non comme « nègre de place » à la rude culture de la canne. D'aucuns affirment comme cocher , certains prétendent comme gardien de bétail.
Un mémoire du colon de Livoy, rédigé aux environs de 1800, indique laconiquement : « Toussaint, nègre esclave (..) ayant la surveillance des animaux sur l'habitation Libertat » ( cité par G. Debien, in « Les vues de deux colons de Saint-Domingue sur Toussaint Louverture », Notes d'Histoire coloniale, n° 149 ). Selon toute vraisemblance, il faisait partie de la minorité privilégiée des « nègres de grand'case » qui étaient au service personnel du propriétaire ou de son gérant.
Toussaint aurait été affranchi en 1776, à l'âge de 33 ans : il aurait bénéficié de la « liberté de savane », qui est un affranchissement de caractère privé auquel on recourait fréquemment afin d'éviter les frais et les démarches administratives de l'affranchissement officiel ; mais sans que toutefois l'on sache par qui. Reçut-il sa liberté du propriétaire de la plantation, le comte de Noé ? Ou de son gérant, Baillon de Libertat ? On l'ignore encore. Quoi qu'il en soit, Toussaint sortit du monde servile pour entamer une carrière de colon : en 1779, son gendre, Philippe Jasmin Désir, lui loua une place ou champs d'une quinzaine d'hectares avec les treize esclaves qui y étaient attachés. Ce qui lui permettra de constituer un pécule appréciable. Peut-être est-ce pour cette raison qu'il n'évoqua jamais ses activités d'affranchi, préférant, à toute occasion, déclarer que lui-même «avait été esclave».
Toussaint se maria-t-il une ou plusieurs fois ? Combien eut-il d'enfants ? On ne sait trop. Ce dont nous sommes sûrs, c'est qu'il épousa Suzanne Simon-Baptiste, noire, sans doute libre ou affranchie, sachant lire et écrire, déjà mère, affirme-t-on, d'un enfant métissé, Placide, avant de donner le jour à deux fils noirs, Isaac et Saint-Jean. Plus tard, au temps de son généralat en chef, Toussaint collectionnera les aventures galantes.
Selon la tradition, Toussaint ne participa pas aux premiers événements de l'insurrection en 1791. On comprend d'autant mieux son effacement qu'il n'était pas esclave, mais maître de nègres et de biens. Son nom apparaît pour la première fois au bas de l'adresse que les chefs noirs envoyèrent à l'Assemblée coloniale au mois de janvier 1792. Néanmoins, le général Kerverseau nous a laissé de Toussaint une image totalement différente : « Ce fut lui, affirme-t-il, qui présida l'assemblée où il fit proclamer chefs de l'insurrection, Jean-François, Biassou et quelques autres que leur taille, leur force et d'autres avantages corporels semblaient désigner pour le commandement. Pour lui faible et chétif, et connu de ses camarades sous le nom de Fatras-Bâton, il se trouvait trop honoré de la place de secrétaire de Biassou. C'est de ce poste obscur, où il se plaça lui-même, que, caché derrière le rideau, il dirigeait tous les fils de l'intrigue, organisait la révolte et préparait l'explosion » ( Rapport remis au Ministre de la Marine en 1797 ). De qui Kerverseau tenait-il ses informations ? Se contentait-il de restituer une rumeur? Ces propos ne véhiculaient-ils pas la propagande officielle du futur commandant en chef ? Quoi qu'il en soit, la valeur du futur maître de la Grande île lui acquit rapidement un commandement.
Après la nouvelle de l'exécution de Louis XVI et de la déclaration de guerre de Paris à Madrid, convaincu que la division des chefs de l'insurrection nuisait à la réussite de leur entreprise, Toussaint accepta le grade de colonel dans l'armée espagnole dominicaine qui s'était jointe aux Noirs pour combattre la République française ( 9 juillet 1793 ). Il deviendra général des armées du roi et établira son quartier général à La Marmelade. Dès ce moment, il ne sera plus animé que par un seul objectif : libérer tous les Noirs de l'esclavage. La révolte primitive s'était transformée en révolution sociale. Mais l'invasion britannique, en septembre 1793, précipitera les événements. Les commissaires de la Convention Polverel et Sonthonax lui firent des propositions, qu'il rejeta d'abord ; mais lorsqu'il apprit que le gouvernement français avait décrété la liberté générale de tous les esclaves ( 29 août 1793 ), il comprit le parti qu'il pourrait tirer de la situation. Il rompit aussitôt avec Biassou et se rallia avec son armée aux autorités légales de la République ( 5 mai 1794 ). A la tête de ses nombreux partisans, Toussaint écrasa les Espagnols et leur enleva plusieurs postes importants. Ce qui aurait fait dire au commissaire de la République Polverel : « Mais cet homme fait ouverture partout ! » On le surnomma dès lors « Louverture ».
Le général Étienne Laveaux, qui gouvernait la colonie, lui décerna un brevet de colonel le 25 mars 1795. Il sera promu au grade de général de brigade, par la Convention, peu après le traité de Bâle, le 23 juillet 1795. Cependant, Laveaux hésitait encore à l'employer. Mais en mars 1796, la ville du Cap s'étant révoltée, le général français, prisonnier des Mulâtres, fut délivré par Toussaint ( 27 mars ). Ce qui lui valut d'être élevé au rang de lieutenant au gouvernement général de la colonie ( 31 mars 1796 ), puis général de division ( 17 août 1796 ). Il deviendra dès lors l'instrument du pouvoir colonial : par ses soins tous les Noirs déposeront les armes. Les Anglais tenaient encore quelques places dans le Nord et l'Ouest, il les en chassa. La paix avec l'Espagne et l'expulsion de Jean-François achéveront de ramener le calme dans l'île. Mais après que Laveaux, élu au Conseil des Anciens, soit parti pour Paris ( 14 octobre 1796 ), le Directoire envisagea l'envoi d'une force armée pour soumettre les nègres et rétablir l'ordre colonial. Toussaint, que Sonthonax avait confirmé dans ses grades et nommé «commandant en chef de la colonie de Saint-Domingue» ( 15 mai 1797 ), répondit à ces menaces en faisant savoir au gouvernement français que, s'il avait l'intention de restaurer l'esclavage, les nègres de Saint-Domingue se défendraient à l'exemple de ceux de La Jamaïque.
Après le départ du commissaire Sonthonax ( 24 août 1797 ), élu aux Cinq-Cents en septembre 1796, Toussaint entreprit de négocier avec les Anglais, de recevoir des émigrés et de renforcer son armée. Il écrira au Directoire pour justifier ses mesures, et, pour détruire tout soupçon, enverra deux de ses fils étudier à Paris. Mais le Directoire, qui souhaitait avoir un représentant direct dans l'île, prit la décision d'envoyer le général Hédouville à la tête de nouveaux commissaires ( 27 mars 1798 ). Il fut fort mal accueilli : Toussaint refusa de l'admettre aux négociations qu'il entretenait avec le général anglais Maitland ( avril 1798 ). Les Noirs, manipulés par des agents secrets et persuadés que les commissaires en voulaient à leur indépendance, se soulevèrent au Cap ( 16 octobre 1798 ), et cette démonstration, habilement exploitée par Toussaint, contraignit Hédouville à chercher un asile sur les bâtiments en rade, qui mirent aussitôt à la voile, emportant environ quinze cents personnes de diverses conditions ( 23 octobre 1798 ).
Délivré de tout contrôle, le général noir croyait enfin toucher à la réalisation de ses projets lorsque les Mulâtres, jaloux de l'influence toujours croissante des Noirs, se réunirent sous les ordres du général Rigaud qui était de leur couleur et commandait dans le Sud. Une guerre sans pitié éclata et des flots de sang inondèrent à nouveau ce malheureux pays ( juin 1799 ). Après des efforts inouïs, Toussaint était parvenu à contenir Rigaud lorsqu'une députation, composée du mulâtre Julien Raymond, du général Michel et du colonel Vincent, apporta à Saint-Domingue la nouvelle du coup d'État du 18 brumaire et remit à Toussaint sa confirmation par Bonaparte dans son grade de général en chef ( juin 1800 ). Toussaint, qui croyait ne pas avoir besoin de cette confirmation, reçut froidement les émissaires français. Il profita néanmoins de leur ascendant passager pour repousser Rigaud jusqu'aux Cayes et le contraindre à quitter l'île ( 1er août 1800 ). Les Noirs purent désormais dominer la colonie.
Débarrassé de cette dangereuse rivalité, Toussaint n'eut d'autre objectif que la réalisation de l'indépendance. Il publia d'abord un règlement, concernant le fonctionnement des plantations, que ses administrés ressentirent comme un retour à l'esclavage, parce qu'il réintroduisait le travail forcé ; car pour Toussaint, l'indépendance du pays passait nécessairement par sa mise en valeur : « la culture est le soutien des gouvernements, parce qu'elle procure le commerce, l'aisance et l'abondance, qu'elle fait naître les arts et l'industrie, qu'elle occupe tous les bras » ( Règlement de culture du 12 octobre 1800 ). Il forma ensuite le projet d'unifier l'île. A la tête d'une armée de 40.000 hommes, entouré de ses lieutenants favoris Dessalines et Christophe , il occupa la partie espagnole presque sans coup férir ( 26 janvier 1801 ). Grâce à son apparente condescendance envers le clergé catholique, les habitants de cette partie de l'île, qui contenait beaucoup de colons blancs et d'émigrés, lui devinrent aussi dévoués que les Noirs. Puis, enivré par l'enthousiasme qu'il soulevait autour de lui, il approuva une constitution dont le premier article le créait Gouverneur à vie ( art. 28 ), avec le droit de se choisir un successeur ( art. 30 ) et de nommer à tous les emplois. Enfin, il divisa l'île en six départements ( loi du 6 juillet 1801 ) et fixa le gouvernement auprès de sa personne : tantôt au Cap, tantôt à Port-au-Prince.
Le commerce reprenait, un nouvel essor et la prospérité renaissait, lorsque les Noirs des districts du Nord, mal façonnés à l'obéissance, quittèrent tout à coup leurs ateliers, égorgèrent quelque 200 blancs, et vinrent assaillir Le Cap. Avec la rapidité de la foudre Toussaint dispersa les révoltés, et le 4 novembre 1801 fit conduire devant lui 40 prisonniers. Il en fit fusiller 13, et parmi eux son neveu par adoption le général de division Moïse ( 25 novembre ). Les autres conspirateurs furent jetés en prison et un désarmement général assura le calme. Ce fut alors que Toussaint écrivait, dit-on, en tête de ses missives à Bonaparte : « Le premier des Noirs au premier des Blancs » Dans l'exercice du pouvoir Toussaint montra une très grande habileté : pour définitivement rallier les Blancs à sa cause, il rappela les émigrés et déclara que la religion catholique était celle de l'État ( au détriment du culte vaudou ) ; pour prévenir une nouvelle insurrection, il publia une violente proclamation qui soulignait les devoirs de la population et les obligations de son gouvernement ( 26 novembre 1801 ) ; sous le titre modeste de règlement il édicta des mesures très sévères pour la répression du vice, de la révolte, des aventuriers, etc. Sachant ce que peuvent des dehors pompeux sur la plupart des hommes, il fit régner à sa cour une étiquette rigoureuse.
La gravité de son maintien, son regard observateur, tenaient les Noirs dans la crainte et le respect et en imposaient aux Blancs eux-mêmes. Aussi sévère sur l'étiquette de la cour qu'eût pu l'être un roi européen, il réprimait avec violence ceux qui s'en écartaient. Au milieu de son brillant entourage il affectait une simplicité remarquable, et ne portait habituellement que le petit uniforme d'officier d'état-major. Tout ce qui l'entourait vivait dans la profusion et la splendeur ; lui seul poussait la sobriété jusqu'à l'abstinence. C'est ainsi qu'il entretenait la vigueur de sa santé, car chez lui l'énergie de l'âme était soutenue par un corps de fer. Souvent il faisait à cheval cinquante lieues sans s'arrêter et ne dormait que deux heures ; il semblait que l'ambition, source de toutes ses actions, fût aussi le soutien de son existence. Il n'avait point de confident, et personne ne connaissait ni ses desseins ni ses démarches. Lorsqu'on le croyait à Port-au-Prince, il était aux Cayes, au Cap, ou à Saint-Marc. Le mystère qui enveloppait toutes ses actions lui sauva la vie en plusieurs occasions. La discipline la plus sévère régnait dans son armée. Les soldats le considéraient comme un être d'une nature supérieure, les officiers et le terrible Dessalines lui-même tremblaient en sa présence.
Cependant, la fin de la domination de Toussaint approchait : les préliminaires de Londres entre la France et l'Angleterre, qui aboutiront à la paix d'Amiens, venaient d'être signés ( 18 octobre 1801 ). Bonaparte, plus tranquille sur le continent, envoya deux forces expéditionnaires : l'une à Saint-Domingue sous les ordres du général Leclerc, son beau-frère, le mari de Pauline , l'autre en Guadeloupe commandée par Antoine Richepanse. Au général Leclerc il donna le commandement d'une flotte de cinquante-quatre navires, portant de nombreuses troupes de débarquement, avec l'ordre formel de « faire respecter la souveraineté du peuple français » ( 18 novembre 1801 ). Il lui confia également les enfants de Toussaint, avec une lettre pour leur père, dans laquelle il assurait Toussaint de son estime et louait sa conduite antérieure : « Si le pavillon français, disait-il, flotte encore sur Saint-Domingue, c'est à vous et à vos braves noirs qu'il le doit ; appelé par vos talents et la force des circonstances au premier commandement, vous avez détruit la guerre civile, remis en honneur la religion et le culte de Dieu, de qui tout émane ; la constitution que vous avez faite renferme beaucoup de bonnes choses, mais elle en contient aussi qui sont contraires à la dignité et à la souveraineté du peuple français. » Il le rassurait ensuite sur la liberté des Noirs, l'invitait formellement à reconnaître la mission de Leclerc, et le rendait responsable de la résistance qu'il opposerait à ses armes.
Parti de Brest en décembre 1801, Leclerc se trouva en vue du Cap Français le 29 janvier suivant. Cependant, Toussaint n'était nullement disposé à renoncer au pouvoir suprême pour se fondre dans la foule des généraux de division républicains. Aussi envoya-t-il son général Christophe au-devant de l'aide-de-camp Lebrun, qui lui était adressé comme parlementaire, pour notifier à Leclerc et à l'amiral Villaret « qu'eussent-ils cent vaisseaux et cent mille hommes ils n'entreraient point en ville, et que la terre brûlerait avant que l'escadre n'entrât en rade. » Le débarquement s'opéra néanmoins : le Cap fut incendié et tous les Noirs appelés à l'insurrection ( 7 février ). Malgré ces premiers excès, Leclerc envoya à Toussaint ses trois enfants avec leur gouverneur Coisnon, qui dirigeait le collège de La Marche où s'élevaient alors les enfants des colons. Porteurs de la lettre du Premier consul ils joignirent leur père à Ennery, le 7 février. Toussaint, dont les forces se réduisaient à trois demi-brigades par suite de la défection du général Clairveaux et de la défaite de Dessalines, repoussa néanmoins tout accomodement et renvoya ses enfants au Cap, après avoir, dit-on, enfoui ses trésors dans les mornes du Cahos. Quelques jours plus tard, Leclerc tenta une nouvelle démarche par la même voie : elle fut également infructueuse. Toussaint donna cette fois le choix à ses fils entre lui et la France : l'aîné, Isaac, rentra au camp français ; le second prit les armes pour son père et fut aussitôt mis hors la loi ( 17 février ). Une guerre terrible s'engagea alors. Les belligérants s'y montrèrent sans pitié.
Mais après la soumission de Christophe et de Dessalines, Toussaint se trouva dans l'obligation d'offrir sa reddition. Il fut autorisé à se retirer sur l'une de ses plantations, à proximité du bourg d'Ennery, dans l'ouest de l'île, non loin de la côte ( 2 mai ). Puis arriva l'époque de la fièvre jaune, cette terrible maladie qui moissonna l'armée expéditionnaire . On comprit alors le sens d'un mot de Toussaint : « Moi compter sur La Providence ! ». C'était en effet le nom du cimetière du Cap ( rapporté par Alfred de Lacaze, in Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours (..), sous la direction de M. le Dr HOEFER, Paris, 1860, t. 32, p. 43 ). De sourdes agitations et des rassemblements recommençaient de toutes parts. Des lettres interceptées ne laissèrent pas douter que Toussaint ne fût en relation avec les mécontents ( 27 mai ). Son arrestation fut résolue, mais la méfiance du chef noir était telle qu'on eut recours à la trahison pour s'en emparer.
Le général Brunet l'invita à son quartier général pour y conférer sur la situation générale du pays. Mais l'astucieux Toussaint fut cette fois la dupe de son amour-propre : « ces messieurs blancs, qui savent tout, lanca-t-il, sont forcés de consulter le vieux nègre ». Après s'être présenté au camp français, le 7 juin, il fut aussitôt arrêté, puis jeté à bord de la frégate « La Créole » pour être conduit au Cap . Il sera envoyé en France sur le bâtiment « Le Héros » avec sa femme Suzanne, ses fils Placide, Isaac et Saint-Jean, ses belles-filles Victoire Tuzac et Louise Catherine Chancy ( 1782-1871 ). Arrivé à Brest le 12 juillet 1802, il fut d'abord enfermé à Paris, à la prison du Temple, puis sur l'ordre du Premier consul au fort de Joux ( Doubs ), le 23 août. En septembre, Bonaparte chargea le général Caffarelli d'interroger le prisonnier sur sa politique internationale et « d'obtenir des renseignements sur l'existence de ses trésors ». Les deux hommes s'entretiendront à quatre reprises, du 15 au 28 septembre. Mais plutôt que d'envisager un procès, le pouvoir central préféra laisser Toussaint croupir en prison. Il subit un régime pénitenciaire qui visait à le briser, à l'anéantir physiquement et moralement. Vexations, humiliations, brimades eurent raison de sa santé. « La composition des nègres ne ressemblant en rien à celle des Européens, expliquait son geôlier , je me dispense de lui donner ni médecin ni chirurgien qui lui serait inutile ». Le 7 avril 1803 ( 17 germinal an XI ), à onze heures et demie, le chef de bataillon Amiot, gouverneur du fort de Joux, le trouva mort dans sa cellule, assis « sur une chaise, près du feu, la tête appuyée contre la cheminée, le bras droit pendant.. ». Peu de jours auparavant, le chef noir lui avait avoué avoir fait enterrer quinze millions dans les mornes, et il s'occupait de dresser d'après ses souvenirs le plan des lieux où ce trésor était enfoui quand la mort le frappa. A cette époque, d'aucuns pensèrent que le poison avait hâté la fin de ses jours. Mais on n'a jamais eu la preuve de ce fait. Toussaint fut inhumé dans l'enceinte du fort.
Sa famille dut alors fixer sa résidence à Agen. Son troisième fils y mourra de langueur, et sa femme y expirera en 1816. Son fils Isaac décédera à Bordeaux le 26 septembre 1853 ( d'après une généalogie détaillée de la famille Chancy, aimablement fournie par l'auteur, Monsieur Jacques PETIT, le 26 janvier 2001 ).
Napoléon, à Sainte-Hélène, se reprochera de s'être laissé entraîner par ses ministres et par les « criailleries des colons ». Il regrettera de n'avoir pas gouverné la colonie « par l'intermédiaire de Toussaint » car, dira-t-il, ce « n'était pas un homme sans mérite ». Ce qui n'eut pas été impossible car Toussaint, au contraire de Dessalines, ne cherchait pas une rupture totale avec la France. Il envisageait, pour autant qu'on puisse le savoir, une solution proche de ce que sera plus tard le statut de dominion dans l'Empire britannique : une quasi-indépendance de fait sous son autorité, avec maintien formel de la colonie dans le cadre constitutionnel français et rapports économiques privilégiés, mais non exclusifs, avec la métropole. « Cet homme fut une nation », devait dire à juste titre Lamartine. Il avait entrepris le rétablissement de Saint-Domingue et il aurait fini par édifier un pays équilibré. Aucun de ses successeurs ne l'égala. Le 25 mars 1983, le gouvernement français remettra une urne contenant ses restes mortels au gouvernement haïtien. .
vendredi 25 juillet 2008
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